Vous souvenez-vous de vos aventures hors de la maison quand vous étiez enfant ? Jusqu’où aviez-vous le droit de vous rendre dehors, en autonomie, sans adulte ? Et vos parents ? De combien de mètres ou de kilomètres s’éloignaient-ils seuls de la maison ? Est-ce que vos enfants bénéficient de la même liberté ?
Une étude britannique (W. Bird) rapporte qu’en 2007, un enfant de 8 ans avait le droit de faire moins de 300m (disons d’aller à la boulangerie au coin de la rue), alors que la génération de ses parents pouvaient faire 800m, la génération de ses grand-parents 1,5km pour jouer seul dans la forêt et la génération de ses arrière-grand-parents faisaient jusqu’à 10km pour aller pêcher au prochain étang !
En 4 générations, comment ce périmètre a-t-il pu diminuer si fortement ? Quels impacts cela produit-il sur notre quotidien ? sur notre état physique ? et même mental et émotionnel ?
Depuis les années 90, on constate que certaines maladies se développent à grande vitesse dans les pays occidentaux : obésité, hypertension, diabète, cancers, dépression, stress… et ce, chez les adultes mais aussi chez les enfants !
L’explication la plus commune de ces maladies sont un manque d’activité physique, une mauvaise alimentation, l’utilisation des nouvelles technologies, la pollution… Et si, toutes ces raisons seraient sous-tendues par une seule et même cause : une diminution de notre lien avec le vivant ?
En 2005, un journaliste américain utilise pour la première fois le terme “syndrome de manque de nature” (nature-deficit-disorder). Dans son livre “The last child in the woods” (1), Richard Louv définit ce syndrome comme un ensemble de manifestations physiques, psychiques et comportementales présentes chez l’enfant et qui découlent de la diminution du temps passé en plein air. Il serait provoqué par :
- la sédentarisation et la virtualisation du rapport au monde,
- l’aménagement de l’espace et l’éloignement de la nature
- le développement de la peur d’être en extérieur.
Être coupé du vivant semble ne pas être sans effet sur notre santé.

Vivre enfermés et connectés
“Nous passons 80% de notre temps dans les bâtiments ou dans l’habitacle des véhicules.” (2)
On vit dans des “boîtes” qui sont nos appartements et maisons, nous travaillons dans des “boîtes” qui sont les usines, les bureaux ou encore les écoles et nous nous déplaçons … dans des boîtes avec des roues.
Une étude en France (2008) a montré que “70% de tous les déplacements des enfants de 6 à 14 ans sont effectués en voiture”.
Par ailleurs, qu’est-ce qu’on fait dans ces boîtes ? Et bien on est souvent devant des écrans !
“6,3 écrans par foyers fin 2012 (Téléviseurs, ordinateurs, consoles de jeux, téléphones mobiles, tablettes et baladeurs vidéos)”(3) et “3h16 de télévision par jour pour les 15-49 ans, voire 4h59 pour les plus de 50 ans”(4)
Nous sommes devenus extrêmement sédentaires avec un rapport de plus en plus virtuel au monde. Loin du vivant, loin du concret, nous nous déconnectons de ce qui est présent à l’intérieur de nous comme à l’extérieur de nous. Nos enfants disposent de moins en moins d’espace pour sentir, toucher, goûter, expérimenter… ressentir…

Loin des yeux, loin du coeur
La deuxième raison qui amène notre société vers le syndrome de manque de nature est l’aménagement de l’espace naturel.
Pensez au parc public le plus proche de chez vous. Que voyez-vous ? Du vert ? Des pelouses ? A-t-on le droit de marcher dans l’herbe ou y a-t-il des barrières et des panneaux partout ? Des arbres ? Peut-on les approcher ? Les toucher ? Sont-ils encerclés de béton ? Ont-ils des feuilles qui tombent pour courir dedans, les ramasser, les contempler ? ou bien sont-ils ramassés tout de suite ? Des arbres… dans lesquels grimper ? Des bâtons… avec lesquels ont peut jouer ?
Les espaces verts en milieu urbain sont de plus en plus aseptisés ne permettant pas de fournir des espaces de jeux naturels aux enfants : les feuilles mortes sont régulièrement ramassées (parfois, les arbres sont mêmes taillés avant la chute des feuilles pour éviter le ramassage), les bouts de bois tombés à terre sont enlevés, les bacs à sable sont retirés…
Le souci de “sécurité” est entendable mais on enlève aussi (ou surtout !) de nombreuses possibilités pour les enfants de jouer avec des éléments naturels, de rentrer en contact avec leur environnement vivant. Ainsi on enlève les potentialités pédagogiques, et, par la même occasion, on supprime une part d’intérêt des enfants pour ce milieu !
“Avant, on jouait avec 3 cailloux et des bâtons, on passait notre temps à grimper dans les arbres…”
Observez les enfants d’aujourd’hui, même les plus petits : ils ont toujours cette même fascination pour les cailloux, les feuilles, les bâtons. C’est universel, tous les enfants le font spontanément.
Mais est-ce qu’on les laisse faire ? Est-ce qu’ils ont la possibilité même de trouver des bâtons dans leur environnement ? Ce n’est pas sûr…
Lorsqu’on regarde l’aménagement des cours de récréation proposé aux enfants, il manque très souvent de verdure, de bâtons, de cailloux… le béton a imposé sa loi, répondant aux besoins des adultes plutôt qu’à l’élan d’exploration des enfants. En parallèle, de plus en plus de professeurs de sport rapportent que “les enfants ne savent même plus courir”.
En répondant à des impératifs de sécurité, d’hygiène, de gestion facilitée, on éloigne les enfants de la nature et de tout ce qu’elle peut leur apporter dans leur développement sain et organique. L’attrait pour le milieu naturel diminue… il devient “dangereux”…

Les peurs (de la nature )
La troisième raison du “syndrôme de manque de nature” est le développement de la peur de cette grande inconnue : la nature. La peur de l’autre, de l’étranger et de l’extérieur poussent les parents à surprotéger leurs enfants en les enfermant à la maison plutôt que de les laisser jouer dehors. Et vous ? Quelles sont vos peurs ?
Osez-vous vous allonger dans un pré d’herbes hautes ou bien avez-vous peur des tiques ? Sortez-vous par tout temps ou bien craignez-vous la pluie et le froid, avez-vous peur de “tomber malade” ? Imaginez de vous asseoir un long moment contre le tronc d’un arbre et d’être attentif à ce qui vous entoure : que ressentez-vous à cette idée ? De l’émerveillement ou bien de l’inconfort ? Craignez-vous de vous ennuyer, de n’avoir “rien à faire”, de perdre votre temps ? Avez-vous déjà passé une nuit à la “belle étoile” ? Peut-être même en forêt ? Qu’est ce qui vous en empêche ? Lors des balades, préférez-vous longer des champs verts ornés de fleurs, des oiseaux qui chantent, ou bien la boue, les ronces, le tonnerre… pourquoi ?
Les peurs peuvent être diverses. Elles sont propres à chacun et liées à notre vécu… François Terrasson a longuement développé dans plusieurs ouvrages (5), cette peur de la nature et ses fondements culturels, psychiques et psychiatriques.

Comment faire face au besoin de nature partout et pour tous ?
La bonne nouvelle est que la réponse est simple, accessible et gratuite : SORTONS !
Nous vivons dans un magnifique pays avec une diversité de saisons, de paysages, d’altitudes, de faune et de flore. La nature est à portée de nous, que ce soit dans des espaces aménagés en ville ou plus sauvages en campagne. Les possibilités sont multiples, selon les envies et les contraintes.
Sortir avec ses enfants le week-end pour des balades, proposer des activités en nature à ses petits-enfants, faire classe dehors pour les enseignants, offrir des sorties nature pour les tout- petits… Les réponses sont multiples et ne sont limitées que par notre imagination. Notre lien à nous-même et à la pleine expression de qui nous sommes, de nos potentialités est intimement relié à notre capacité à nous relier au vivant.
Cet article de blog est un extrait de la conférence “Le syndrôme de manque de nature” que Nina KLEINSZ a donné le 18 février au salon Primevère 2023. Vous pouvez écouter l’enregistrement de la conférence et de l’échange qui s’est ensuivi ici : http://salonprimevere.org/editions-passees-ecouter-les-conferences |
(1) Louv R., Last Child in the woods : saving our children from nature-deficit disorder (Le dernier enfant dans les bois : sauvons nos enfants du syndrome de manque de nature), 2005. Non traduit en français.
(2) IREPS Rhône-Alpes, Promotion de la santé environnementale, 2011, p.10
(3) GfK / Médiamétrie – Référence des Equipements Multimédias – 4ème trimestre 2012
(4) CSA ; Médiamétrie, in Tableaux de l’Economie Française, INSEE, 2011
(5) Terrasson François, La peur de la nature, Sang de la terre, 1993; Terrasson François, La civilisation anti-nature, éditions du Rocher, 1994; Terrasson François, En finir avec la nature, éditions du Rocher, 2002